Quand il semble exister deux tableaux très différents sur les Internes de la Réussite
Tentons un bilan. La Directrice de Ginette présente et défend, devant diverses instances, un tableau qui, selon nos analyses, est plein d’erreurs. En revanche, dans son bureau et devant deux professeurs, elle est capable quelques mois plus tôt de leur donner des chiffres beaucoup plus cohérents, de citer nommément deux internes de la réussite sortis en fin de sup en 2015, qui n’apparaissent pas dans le tableau erroné et qu’elle n’a pas connu personnellement, et enfin elle est capable de donner le bon ordre de grandeur du nombre de réorientés.
Démêler le vrai du faux
Bref, la seule conclusion que nous pouvons tirer de notre étude, c’est qu’il semble y avoir deux tableaux : d’abord le tableau privé de Madame Rousselot, bien tenu, qu’elle a reconstitué elle-même à partir des informations fournies par la comptabilité de Ginette (car son prédécesseur ne lui avait laissé aucun historique de l’opération) ; d’autre part, le tableau qu’elle montre au CA de Ginette, au comité des Anciens et à la Fondation Ginette, substantiellement différent et dont les différences sont visiblement à même de donner une toute autre lecture statistique de l’ensemble.
La présentation qu’elle fait de ce tableau en comité est d’ailleurs particulièrement intéressante : par exemple, comme pour répondre aux interrogations de l’un des professeurs sur l’amalgame des filières dans les intégrés à l’ENSAM, Manuela Rousselot précise bien que certains d’entre eux viennent de filière MP, à raison de 25%. 25% de 16 intégrés à l’ENSAM, cela fait 4 élèves. Notre contre-enquête montre qu’en réalité 7 des 16 ENSAM répertoriés dans son tableau sont des MP. Encore mieux, vous vous souvenez peut-être qu’un élève a été déclaré comme intégrant… son lycée d’origine ! C’est un ENSAM oublié, ce qui porte à 17 le nombre d’intégrés ENSAM sur la période 2014-2020, dont 8 en MP. Et si on rajoute que l’un des PT avait en réalité fait une sup en PCSI et que l’appréciation de son intégration doit en tenir compte, on s’aperçoit qu’une légère minorité des intégrés à l’ENSAM, sur toute la période d’examen, avait commencé sa scolarité à Ginette en PTSI (8 sur 17).
Donc, la conclusion de cette enquête est qu’il y aurait deux tableaux : un tableau « interne« (qui contient en fait une ou deux petites erreurs, certainement involontaires), et un « externe« qui serait un embellissement du vrai tableau, réalisé par un enjoliveur un peu gaffeur. Qui serait alors l’enjoliveur ? Cette question n’a pas pour nous beaucoup d’intérêt. Ce qui est plus intéressant est de savoir qui pourrait être conscient de cette double-réalité en dehors de Madame Rousselot.
La controverse continue
Pour répondre à cette question cruciale, nous nous penchons maintenant sur un événement singulier qui pourrait éclairer le lecteur. Faisons un retour en arrière au moment de l’échange entre l’un des professeurs contestataires et Frédéric Danel, responsable de Ginette Solidarité pour la Fondation Ginette, en mars 2021. À la suite de la réponse de Frédéric Danel (voir lien), le professeur contestataire envoya un second message, toujours avec la totalité du comité des anciens. Il y précisa certaines de ses inquiétudes quant au dispositif :
Cher Membres du Comité, Je suis un peu embêté, car j'ai l'impression qu'il n'était pas vraiment prévu que je sois destinataire du message de Frédéric Danel. Je le remercie néanmoins pour les éléments chiffrés qu'il donne. Mais avant de revenir sur ces derniers, qui engendrent chez moi beaucoup plus de perplexité que de soulagement, je voudrais préciser le but de ma démarche. C'est une grande et belle idée, et je la partage entièrement, de permettre à des élèves méritants issus de milieux défavorisés d'étudier à Ginette dans les conditions d'internat que nous connaissons tous. Moi-même [...] Le principe des internes de la réussite consiste à proposer une aide financière à des candidats sélectionnés sur leur dossier scolaire et ayant donc le niveau académique nécessaire pour suivre une scolarité à Ginette, aide financière sans laquelle ils ne pourraient pas venir. Leurs résultats devraient donc, en toute logique, être au même niveau que ceux de la population globale de l'école. Or, il se trouve que sur la période du dispositif, nous (les professeurs) n'avons pas cette perception et avons vu souvent des élèves en grande difficulté scolaire, en particulier dans la filière [...] dans laquelle je travaille. Bien entendu, nous ne savons pas qui est interne de la réussite, mais par divers recoupements nous nous sommes aperçus qu'il s'agissait sans doute souvent de bénéficiaires du dispositif. C'est une grande souffrance pour ces jeunes de rentrer à Ginette pleins d'espoir et de voir qu'ils n'ont, en fait, pas le niveau pour suivre le rythme imposé. Certains ont ainsi dû quitter l'école en cours de scolarité complètement anéantis par leur sentiment d'échec. Heureusement, les autres, en grande majorité, ont bien pu profiter de leur passage à Ginette et peuvent être fiers de leur parcours et de leur intégration, même lorsqu'il ne s'agit pas des écoles les plus prestigieuses. Voici quelques éléments qui me troublent dans les chiffres qui m'ont été communiqués. (1) Vos résultats globaux d'intégration 2015-2020 présentent deux incohérences importantes avec des informations dont je dispose. (a) Mardi dernier, Madame Rousselot m'a indiqué, en consultant son fichier et devant témoin, le nombre de 14 réorientations pour les IR recrutés de 2013 à 2019, dont 4 pour les entrés en 2019. Vous n'en indiquez que 7. À ces 14 réorientations (sortie de Ginette en cours ou en fin de première année) doivent, à mon avis, être rajoutées, pour apprécier l'efficacité du dispositif, deux réorientations internes de MPSI vers EC (avec intégration, respectivement, à Kedge et l'EM Lyon après trois années à Ginette). Pour votre information, le taux de réorientation (internes ou externes) des élèves de Ginette sur la période 2012-2020 est voisin de 2%. (b) Vos statistiques ne font apparaître aucun départ vers l'université. Or les résultats des IR 2017 publiés dans Servir font état d'un tel départ. (2) Les résultats des internes d'excellence admis en 2012 ne sont pas corrects. (a) L'un des internes d'excellence, XX XXXXXX, a été interviewé dans le numéro de décembre 2017 de Servir. Il y est indiqué qu'il avait suivi une école d'agronomie à Bordeaux. Renseignement pris dans le tableau de résultats du Servir dedécembre 2014, il s'agit de l'ENITAB (qui est effectivement la seule école d'agronomie bordelaise). Cette école ne figure pas dans la liste transmise qui ne comporte aucune école de la filière BCPST. (b) De source sûre, au moins un des internes d'excellence 2012-2014 est parti à l'université en fin de deuxième année. (3) J'ai bien noté l'explication des 3 élèves manquant dans le récapitulatif des résultats (5/2 non comptabilisés), mais il se trouve que mon décompte partait de 25 élèves admis en sup en 2020 alors qu'il en est annoncé 26 dans le courrier de Frédéric Danel, ce qui fait donc toujours une différence d'une unité. Ce n'est qu'une unité (mais derrière cette unité, il y a un élève), mais s'il y a "des étudiants qui arrivent directement en 5/2 et qui bénéficient d’aides", ne faudrait-il pas les ajouter (combien ?) dans le nombre d'élèves entrants, ce qui augmenterait d'autant l'écart ? En effet, mes calculs sefondent systématiquement sur le nombre d'élèves rentrés à Ginette en première année en ayant bénéficié du statut d'IR. (4) Je n'ai pas eu de réponse sur la question des résultats 2017 publiés dans Servir et dans lesquels manquent manifestement une dizaine d'élèves entrés en 2015 avec le statut d'IR. Enfin, concernant la publication des résultats, il me semblerait utile de préciser un peu plus les écoles et de séparer par filière. En effet, par exemple : * en BCPST, indiquer "Agro/Véto" n'est pas très parlant, puisque tous les élèves qui intègrent rentrent dans une de ces écoles, hormis ceux et celles qui réussissent le concours ENS ou celui de Polytechnique. C'est un peu comme si on disait "école d'ingénieur" dans les autres filières scientifiques. * que signifie "29 Centrale, dont 19 Paris" ? où sont comptabilisées les intégrations à Supélec (sur l'un ou l'autre des campus) avant la fusion Centrale/Supélec ? * ne pas différencier les ENS est bizarre : la difficulté des concours pour intégrer Ulm ou Saclay, par exemple n'est absolument pas la même, surtout suivant la filière. * l'intégration à l'ENSAM a une signification très différente suivant la filière : en PT, cela peut être plutôt considéré comme une bonne école, mais en général, les élèves de MP qui choisissent cette école sont à la lisière du dernier décile de leur promotion. Voilà quelques nouvelles questions que je vous soumets, en vous remerciant encore de l'engagement dont vous faites preuve, notamment tous ceux qui participent bénévolement à Ginette Solidarité. Bien amicalement, XXXX XXXXXXXX
Notons qu’à ce stade, le professeur n’était toujours pas conscient que le hiatus qu’il aurait dû observer était en fait de deux unités, à cause de l’oubli qu’un interne d’excellence a redoublé en 2014, ce qu’il ne découvrit que quelques jours plus tard.
Alerté par ce message, j’ai pris le soin de me renseigner sur la personnalité du demandeur, avec qui je n’avais jamais été en contact. Une connaissance commune a pu me certifier que c’était un professeur de très grande valeur, hyper-investi dans l’établissement depuis toujours, et qui en partageait pleinement les valeurs. Bref, si une personne d’un tel niveau prenait la peine d’alerter le comité, il fallait impérativement se pencher sur ses arguments. Je décidai d’organiser spontanément une visio-conférence le lendemain, avec plusieurs membres du comité et notre interlocuteur, en espérant qu’il puisse développer ses analyses et qu’un membre de la Fondation Ginette ou du comité puisse lui répondre.
Attaque ad hominem
Le soir-même, j’eu la désagrément de recevoir dans ma boîte mail le message suivant de Jacques Monnet, président de Ginette Alumni.
Bonjour à tous, Pour apporter un peu d'objectivité au débat, je voudrais vous donner quelques éléments. Il existe chez certains professeurs de Ginette le désir, réitéré pour certains depuis de nombreuses années (15, 35) de maximiser l'entrée à Ginette de candidats sélectionnés sur la seule excellence scientifique. Ils sont allés jusqu'à imaginer un projet de concours pour les élèves de Terminale postulant à une CPGE, alors qu’à Ginette la commission d'admission cherche, elle, à recruter de belles personnes cohérentes avec le projet pédagogique de l'École. Le dénigrement public du recrutement de Ginette sur un blog a d’ailleurs valu à l’un des professeurs d’être exclu de la commission d’admission. Le vrai moteur des critiques sur le recrutement par les deux professeurs de MP est en fait la crainte de voir leur filière ne plus avoir les meilleurs candidats de France, scolairement parlant, et de se laisser doubler dans les résultats par la filière PCSI de Ginette. Une des caractéristiques communes à ceux qui se livrent à cette démarche est d'afficher une "grande considération pour Ginette", mais cette Ginette-là n'est pas celle qui a bâti sa réputation non seulement sur les qualités académiques mais aussi sur les qualités humaines du terreau recruté, amplifiées par la pédagogie vécue et partagée pendant les années BJ. En tant qu'association des anciens, nous devons éviter de nous rendre complices de manœuvres. Et ceci n'a rien d'interprétatif ! Le recrutement des internes de la réussite ne déroge pas aux critères de la commission d'admission, comme l'a très bien souligné Manuela Rousselot dans sa réponse récente. En s'interdisant la discrimination positive, la Direction de Manuela Rousselot a démontré la pertinence du choix des IR, même si la recommandation de rechercher la parité n'est pas totalement respectée. La pression de transformer recommandation en obligation existe surtout dans le cas où l'internat de la réussite concerné reçoit des subventions spécifiques à cet internat, ce qui n'est pas notre cas puisque ce rôle est assuré par les allocations de la Fondation Ginette. Je trouve personnellement inadmissible de donner une tribune à la manipulation égocentrique de XXX XXXX et XXXXX XXXXXXXX sans que ceci ait fait l'objet d'une décision concertée. Je demande par conséquent à tous les membres du Comité de ne pas se rendre à l'invitation de Jean-François Vermont. A l'extrême limite, je m'y rendrai pour leur signifier en une minute que nous ne sommes pas dupes, puis je me retirerai. Bien à vous. Jacques Monnet
Je trouvai alors qu’en réponse au mail fort diplomatique du professeur, ce message n’était pas marqué sous le sceau de la plus grande bienveillance. Mon président mettait en cause les motivations du professeur sans lui apporter de réponse sur le fond. Après discussion ultérieure avec les deux professeurs mis en cause dans ce message, j’ai appris de leur bouche qu’ils n’avaient jamais eu le moindre rapport direct avec Jacques Monnet (l’un d’entre eux m’a dit explicitement ne jamais avoir échangé le moindre mot, écrit ou oral, avec lui).
Navré de la tournure des événéments et résistant à une injonction qui me semblait absurde, je maintins ma présence à cette conférence, tout comme deux de mes collègues du comité.
Jacques Monnet se rendit effectivement à cette conférence, et ce qui s’ensuivit fut assez étrange : au lieu de se retirer rapidement comme il l’avait prévu, il resta plus d’une heure, assailli par les questions du professeur. Il avait visiblement les yeux sur un fichier informatique. J’eus le sentiment qu’il évitait systématiquement de répondre aux questions précises qui lui étaient posées, partant dans des digressions sans fin (par exemple, sur la valeur de l’ENSAM ou sur la réussite constituée, selon lui, par le fait qu’un élève de Ginette rentre au carmel à la sortie de l’école). Mais de chiffres précis, on n’eut pas beaucoup à se mettre sous la dent, sinon un tout petit nombre. En relisant récemment les notes prises par l’un de mes collègues présent à la réunion, un élément-clef attira mon attention : le professeur lui avait demandé de dénombrer les élèves ayant intégré l’ENSAM, avec le détail de ceux qui l’avaient intégré en voie MP. Il était parvenu à 16 et 7, respectivement. Cela correspond presque exactement aux éléments qui semblent issus du tableau « interne » car il manque une intégration en 2016. Mais, si on en croit Manuela Rousselot et Jacques Monnet, le fichier qu’ils ont montré au comité des anciens ne ferait apparaître que 4 (ou 5) ENSAM en voie MP. J’en conclus, avec un degré de certitude assez élevé, que Jacques Monnet avait, lors de cette conférence, le « vrai » tableau sous les yeux. Je note par ailleurs qu’il était présent lors de la séance de présentation du tableau d’intégration au CA, tout comme à celle de la présentation du même tableau au comité des anciens (c’est d’ailleurs de son propre ordinateur que le tableau était projeté lors de cette dernière). Même si Jacques Monnet n’a pas du tout une connaissance intime du dossier au même niveau que celle de la Directrice de Ginette, et n’est donc pas en mesure d’y détecter des erreurs manifestes aussi facilement, cette anecdote laisse penser qu’il a été confronté, si ma théorie est juste, aux deux tableaux. A-t-il alors eu conscience de leurs différences ? Il est impossible d’en juger à l’heure actuelle.
Un dernier élément d’éclairage : lorsque Frédéric Danel fit, le 25 novembre 2020, la demande à deux co-administrateurs de la Fondation Ginette d’avoir un fichier détaillé (en précisant bien que c’est à l’Ecole qu’il faut faire cette demande), l’un de ses destinataires était Jacques Monnet, vice-président de la Fondation. Il ne s’agissait pas une demande directe de Frédéric Danel à l’administration de Ginette.
Conclusions de l’enquête
Qui aurait produit ce tableau plein d’erreurs ? Qui, dans l’établissement et dans Ginette Alumni, pourrait être pleinement conscient de ce nombre anormal d’erreurs ? Ce sont ces graves questions qui concluront notre enquête sur ce tableau d’intégration.